Il y a quelques temps, je me suis inscrite sur le site "Les Agents Littéraires". Ce site a été créé en mars 2011, afin d'aider
les livres des éditeurs indépendants et des auteurs auto-édités à se faire connaître grâce au Web. Il réunit aujourd’hui plus de 200 blogueurs contributeurs, pour une moyenne de 60
critiques publiées par mois. Si vous avez envie de participer à ce très joli projet, vous trouverez toutes les informations nécessaires par ici. Je les remercie de la confiance témoignée en m'envoyant cet ouvrage.
Et donc, pour ce premier partenariat, j'ai reçu "Le roman de Djalil", de Djalil et Marie Hakem, récemment publié aux Editions L'Harmattan.
Ce livre nous conte l’épopée d’un homme, rescapé de l’épouvantable génocide arménien : une page sombre de l’Histoire intimement liée au destin personnel de Djalil. Une vie frappée par l’horreur, qui nous éclaire sur la barbarie des peuples, les luttes de pouvoir au Proche-Orient, et sa propre ascension sociale, de Mardin, à Alep, en passant par Antioche, Beyrouth ou Damas. On entend dans ce roman une seconde voix, celle de Marie, sa fille, qui ponctue chaque étape du récit de son père, de ses commentaires, ses propres souvenirs d’enfance, ses questionnements sur ses propres blessures, sur ses racines, et sur son amour pour un père longtemps repoussé.
Si, comme moi, vous ne connaissez rien du Proche-Orient et que vous avez besoin d’aller voir une carte du monde pour pouvoir situer l’Arménie ou la Syrie, ne vous dites PAS que ce n’est pas un livre pour vous. D’une part, parce qu’il n’est rien de plus agréable que de découvrir l’Histoire à travers le témoignage d’un homme et, d’autre part, parce qu’il y est question de sujets bien plus universels que les éléments historiques (et dramatiques) à proprement parler. Ce livre nous parle de l’importance des racines, de l’enfance, du besoin (ou du refus) de transmettre ses expériences de vie, de l’incompréhension entre les générations, des non-dits, du besoin de reconnaissance, de la douleur et des regrets face à la perte d’un être cher… des sujets qui nous touchent tous, à un moment ou à un autre de notre vie.
Ce livre est donc bien plus que le témoignage d’un militaire ayant vécu le génocide du peuple arménien, la guerre 40-45, les guerres d’Algérie et d’Indochine. C’est avant tout le témoignage d’un homme, malmené par le Destin, rêvant de concrétiser ses ambitions, et d’être enfin « reconnu », à force de travail et de pugnacité. En effet, Djalil n’est pas de ceux qui s’apitoient, qui attendent, qui espèrent ou qui se laissent vivre, il est de ceux qui passent leur vie à forcer le destin. Comme le dit si bien Marie, sa vie est un concentré d’émotions sur fond de guerre permanente. (p. 146).
Après une préface très émouvante, ce livre est divisé en 7 chapitres durant lesquels Djalil nous conte les événements, souvent dramatiques, qui ont marqué sa vie : le génocide arménien, l’exil, l’enfance et l’adolescence en Syrie, la formation militaire, les premières affectations militaires, le mariage dans un contexte politique très instable, le retour à son école militaire et enfin, l’exil forcé vers la France. A la fin de chacun des chapitres, c’est sa fille, Marie, qui prend la plume pour nous parler de ses propres souvenirs, ou éclairer sous un autre jour, les événements contés par son père. De plus, plusieurs chapitres sont illustrés par des photographies, qui permettent au lecteur d’être encore un peu plus proche des protagonistes.
Le premier chapitre est celui qui m’a le plus chamboulée… Tout d’abord, l’écriture est simple, sans fioritures, Djalil Hakem va droit au but, et grâce à cela, le lecteur est sans cesse bousculé, hébété même, sans avoir le temps de s’apitoyer, en pouvant juste écarquiller les yeux. Quelle douleur d’imaginer ce petit Djalil âgé de 8 ans, accompagné de ses frères et sœurs, orphelins et livrés à eux-mêmes au milieu de ce déchainement d’horreur et de cruauté sans nom… Qui peut sortir indemne de ces événements ? Personne, pas même le lecteur bien au chaud sous son toit. On ne peut qu’être bouleversé par cette enfance brisée, ainsi que par les mots de sa fille, Marie, en fin de chapitre, qui nous livre des réflexions très intimes et universelles à la fois. Et le professeur que je suis, est encore bouche bée, et écœurée, de la quasi inexistence historique (dans les manuels) de ce génocide arménien, pourtant tout aussi dramatique et révoltant que la Shoah.
Heureusement, le climat devient moins dramatique dans le second livre et, je me suis vraiment attachée à Djalil et à ses grands-parents, surtout à Georges, cet homme si bon et si courageux, comme sortant des Contes des Mille et Une Nuits, avec ses deux poignards à lames recourbées. Djalil se révèle également être un enfant plein de ressources, faisant les 400 coups avec son grand frère, Hanna, pour tenter de subsister dans la misère en Syrie.
Je ne vais pas vous dévoiler le contenu de chacun des chapitres mais sachez que de manière générale, j’ai été emportée par le récit de la vie mouvementée de Djalil et je l’ai découverte avec beaucoup de plaisir et de tristesse à la fois. Même si je dois quand même avouer que les chapitres présentant uniquement des histoires militaires et des faits d’armes m’ont beaucoup moins passionnée, voire un peu ennuyée.
J’ajouterai également, du côté des bémols, qu’un détail m’a gênée, voire agacée à plusieurs reprises : en effet, à la lecture des « Livres de Marie », on prend connaissance d’événements qui ne seront dévoilés que bien plus tard dans « Les Livres de Djalil » et j’ai trouvé dommage de ne pas laisser Djalil nous faire découvrir lui-même les coups du destin, plutôt que de les voir résumés 100 pages plus tôt.
Mais de manière générale, j’ai apprécié cette lecture : j’ai été émue par Djalil, touchée par Marie, et ma gorge s’est serrée à de nombreuses reprises. D’ailleurs, Djalil n’est pas mon père, je n’ai aucun lien avec lui, mais en refermant ce livre, j’ai éprouvé du réconfort en sachant que ses Mémoires étaient enfin publiées et accessibles à tous, et j’ai eu l’étrange sentiment du devoir accompli,… ce qui montre à quel point je me suis immergée dans sa vie.
Djalil Hakem repose aujourd’hui, auprès de son épouse, dans le Var, loin de sa terre natale, exilé pour l’éternité. Si j’en avais l’occasion, j’irais me recueillir sur sa tombe et je lui dirais combien ses mots et ceux de sa fille, dont il peut être fier, ont su toucher la parfaite étrangère que je suis. Et j’espère que, de temps en temps, les vents de la Méditerranée, emmènent auprès lui les senteurs de l’Orient, si cher à son cœur.
Quant à vous, Marie-Antoinette Hakem, vous pouvez être fière de votre prénom (ainsi que votre frère ,du sien), fière d’avoir publié ces Mémoires (il n’est jamais trop tard, jamais), et fière de votre papa, qui ne fut ni un homme ni un père parfait… mais qui peut se targuer de l’être ?