Depuis quelques années, la littérature venue du grand froid a le vent en poupe et c’est avec bonheur que j’y ai (enfin) fait ma première incursion grâce à « L’armoire des robes oubliées » de Riikka Pulkkinen, une jeune auteure finlandaise dont c’est le second roman.
Voici le résumé : Alors que sa grand-mère Elsa se meurt d'un cancer foudroyant et que tous ses proches se rassemblent pour adoucir ses derniers jours, Anna découvre que, derrière le mariage apparemment heureux de ses grands-parents, se cache un drame qui a marqué à jamais tous les membres de sa famille. Une vieille robe trouvée par hasard, et dont elle apprend qu'elle aurait appartenu à une certaine Eeva, va réveiller le passé. Cette Eeva, dont on ne lui a jamais parlé, aurait été, dans les années 60, la nourrice de sa mère, Eleonoora. Mais Anna ne tarde pas à comprendre qu'elle a été beaucoup plus qu'une employée…
Je suis décidément très gâtée ces derniers temps car je viens de nouveau de passer de très agréables heures de lecture grâce à ce roman, tout aussi joli que sa couverture et son titre.
J’y ai trouvé beaucoup de sensibilité, et un regard tellement vrai sur les relations humaines : la séduction, la jalousie, l’envie de liberté, la rébellion, l’enfance, le chagrin, l’amitié, la famille, la mort, l'amour… sans jamais aucune mièvrerie. Riikka Pulkkinen n’a que 30 ans et pourtant, elle semble avoir déjà vécu de nombreuses vies tant son histoire est universelle et trouve de multiples résonnances en nous. Une grande sagesse émane de son écriture, et elle parle avec brio de la complexité de l’âme humaine… Elle a vraiment un talent certain pour décrire avec force et douceur tous les petits malheurs et bonheurs du quotidien.
« Ils ont eu une étrange dispute avant de partir. Leurs phrases guettent au-dessus d’eux » (p. 185)
Comment décrire plus justement que cela les instants qui suivent une dispute ? Comment ?!
Un livre dans lequel chacun trouvera donc un miroir et de quoi s’identifier à l’une ou l’autre situation, à l’un ou l’autre des personnages, à l’une ou à l’autre de ses failles et faiblesses. Car il s’agit bien plus que du récit du destin de la famille Ahlqvist, il s’agit de l’histoire universelle des hommes et des femmes, et de leurs relations : entre mère, femme, fille, collègue, épouse, grand-père, petite-fille, grand-mère, amie, mari… Il y a tellement de vérités entre ces lignes que j’aurais voulu citer des dizaines de passages.
« Martti était souvent repris par l’idée qui le hantait depuis qu’Eleonoora était devenue une adulte : cette femme lui avait volé sa fille, elle avait dissimulé Ella, avec ses tresses et son sourire, dans les profondeurs de son impassibilité. Si seulement il retrouvait une formule magique venue des années d’enfance d’Eleonoora, il la réciterait, et alors Eleonoora redeviendrait Ella, elle sautillerait dans le couloir, ferait des grimaces à son reflet dans le miroir et ils iraient s’acheter un cornet de glace. » (p. 12)
L’auteure alterne les points de vue parmi ces 3 générations de femmes : Elsa, la grand-mère ; Eleonoora, la fille, Eeva, la nourrice, ainsi qu’Anna, la petite-fille. Et au milieu de toutes ces femmes, Martti, l’artiste peintre, homme, mari, amant, père et grand-père. C’est une histoire émouvante qui prend vie sous nos yeux, avec parfois pour toile de fond les années de révolte, celles qui précèdent mai 1968.
Comme à travers les pages d’un journal intime, nous suivons les destins de ces personnages dans des allers retours entre aujourd’hui et les années 60, ce qui nous permet de les connaitre aux différents âges de leur vie et de nous les rendre tellement… humains. Et au cœur de cette histoire, il y a un secret de famille, sorti d'une armoire aux robes oubliées, que nous découvrons au fil des retours en arrière et ainsi, le passé refait surface et éclaire le présent d’un œil nouveau. De temps en temps, Riikka nous annonce également la suite et nous donne envie de dévorer les pages pour comprendre comment on en arrivera à ce futur annoncé...
« Elle possède déjà certaines expressions, mais le chagrin n’a encore jamais imprimé ses contours sur son visage. Je vois qu’il ne l’a jamais fait. C’est une vision tout à fait spéciale : ce qui n’est pas encore, mais dont vous savez que cela va arriver. Je suis celle qui dessinera le chagrin sur le visage de la petite. Je l’ignore encore, de même que j’ignore qu’elle s’en tirera. Moi, je m’en sortirai moins bien. Elle sera celle qui dessinera en moi le chagrin. » (p. 101)
J’aime également tout particulièrement ces romans qui font des références à MON monde et non à des éléments obscurs (ou intello) qui ne me parlent pas. Ainsi, dans cette histoire, on trouve plusieurs clins d’œil à Dirty Dancing (la scène de danse sur l’arbre couché sur la rivière) (si si !), à Catherine Deneuve, aux Beatles, à Jackson Pollock, à Pierrot le Fou ou encore à Jane Birkin.
Quant à l’écriture, elle est fluide, riche, très riche, évocatrice et tellement mélodieuse, ne fut ce que dans le choix des noms des personnages : Anna, Maria, Eleonoora, Ella, Eeva, Elsa, Liisa, Saara… Très métaphorique aussi, avec beaucoup de légèreté et de profondeur à la fois. Une écriture douce et subtile, qui nous permet également de découvrir la nature et les paysages finlandais avec beaucoup de bonheur.
J'espère que ce billet vous donnera l'envie d'ouvrir la porte de l'armoire des robes oubliées car c'est un très joli voyage qui vous attend...
Ma note :
Merci aux Editions Albin Michel et tout particulièrement à Aliénor pour ce très beau voyage.