Quand j’ai lu le titre de ce roman, j’ai eu envie de fuir. « Loin des Mosquées ». Les écrits politiques ou religieux… très peu pour moi. Et ça aurait été tout à fait pareil avec « Loin des Églises », « Loin des Synagogues » ou « Loin des Temples bouddhistes ».
Mais mon œil ne s’est pas arrêté au titre. Armel Job. Un écrivain bien de chez moi que j’avais envie de découvrir depuis un petit temps. Puis j’ai lu la quatrième de couverture et là, retournement définitif de situation : je n’ai plus eu qu’une envie, découvrir cette mystérieuse Derya.
Evren achève de brillantes études à Cologne. Hébergé chez son oncle turc, ce garçon gauche et timide a le coup de foudre pour sa cousine, la belle et sensuelle Derya. Rentré chez lui, en Belgique, Evren annonce aux siens la bonne nouvelle : il va épouser Derya. Une délégation familiale se rend donc en Allemagne pour demander officiellement la main de la jeune fille. Mais les choses ne vont pas tourner comme prévu…
Déjà ce résumé me semblait prometteur et malgré les réticences dues au titre, je me suis lancée à la découverte de cet univers : et bien, au final, je suis juste comblée par cette lecture ! Comme le dit très justement la quatrième de couverture : un livre profond et drôle à la fois.
Ce roman nous permet de faire une incursion dans les mœurs et coutumes turques, notamment le mariage arrangé et les cérémonies du mariage, mais c’est bien plus que cela. C’est l’histoire de 4 personnages, tour à tour narrateurs : Evren, ce maladroit peu gâté par la nature mais tellement gentil ; puis René, le voisin de son frère, qui exerce le métier de croque-mort avec talent ; ensuite, Yasemin, la jeune paysanne turque de 16 ans promise à un homme qu’elle connait à peine ; et enfin, Derya, la belle, la sensuelle, l’insoumise. Il va sans dire que le fait d’avoir 4 narrateurs qui s’entrecroisent est très enrichissant et apporte beaucoup à l’histoire.
Le roman s’ouvre sur un 1er chapitre que j’ai trouvé très drôle. C’est René qui prend la parole et on le trouve au volant de son corbillard, avec des péripéties (un accident de la route en service !), des réflexions et des dialogues tout à fait savoureux. C’est d’ailleurs le personnage qui nous permet le mieux de nous immerger dans cette culture turque car, tout comme nous, il est tout sauf coutumier de ces mariages arrangés, de ces cérémonies, etc.
Et en plus d’être drôle, ce premier chapitre a aussi l’avantage de nous plonger directement dans un mystère dont on a envie de connaitre le fin mot : Qui est cette jeune musulmane que René transporte dans son corbillard vers son lieu de crémation ? Puis, au fil des pages, les rebondissements s’enchaînent, et il devient vraiment difficile de quitter Evren et sa communauté.
En outre, c’est un univers que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir avec « La nuit du Henné », la symbolique du café noir ou sucré (cf. extrait en fin de billet), la délégation matriarcale pour la promesse d’union… Et puis, le poids des traditions et l’importance –vitale- du sacro-saint honneur de la jeune fille, au cœur de cette culture et de cette histoire. J’ai trouvé le tout très crédible, très intéressant sans jamais l’ombre d’un jugement.
Sachez également qu'Armel Job nous offre de très jolis portraits de femmes. Celui de Derya et celui de sa mère. Puis surtout, pour moi, celui de Yasemin, malicieuse et touchante. Un petit bout de femme dont j’aurais encore bien partagé le chemin quelques pages de plus.
Et puis, accrochez-vous bien, parce que ça n’arrive pas souvent (jamais ?) : j’ai adoré le dénouement de l’intrigue ainsi que la toute fin. Je l’ai trouvée tout à fait inattendue et je n’en aurais pas voulu d’autre.
Bref, c’est vraiment un roman qui m’a beaucoup plu et je n’ai d’ailleurs (pour une fois) aucun bémol à soulever. Ni dans les personnages, ni dans l’intrigue, ni dans la narration, ni dans le style. Tout m’a séduite.
Ne vous laissez donc pas gruger par le titre peu engageant ni par la couverture, du même
acabit !
Ma note :
Merci à Livraddict et aux Éditions Robert Laffont de m’avoir permis de faire cette jolie découverte.
D’autres avis chez Nathalie, Iluze, Delcyfaro, Rose et Marmotte.
Et je vous laisse avec l’extrait présenté en quatrième de couverture, que j'ai beaucoup
aimé.
Derya a servi le café. Ma mère a porté la tasse à ses lèvres et, après la première gorgée, elle a blêmi. Ses ongles s’enfonçaient dans mon bras.
« Derya, tu n’as rien oublié ?
- Non, ma tante
- Tu es sûre ?
- Tout à fait sûre.
- Mais le sucre… ?
- Il n’y a pas de sucre. »
Sa voix était très basse, mais très ferme. Ma mère s’est tournée vers ma tante.
« Qu’est-ce que ça veut dire, Selma ?
- Tu sais fort bien ce que ça veut dire quand on demande une fille en mariage et qu’elle verse du café sans sucre. »