« Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre », est un roman émouvant de Ruta Sepetys, dont je viens de tourner la dernière page, et qui m’avait été envoyé par les Editions Gallimard Jeunesse, que je remercie chaleureusement pour cette découverte.
Ce livre est consacré à une sombre page de l’Histoire, dont je n'avais jamais entendu parler : la déportation des populations baltes (Lituanie, Estonie, Lettonie), durant la Seconde Guerre Mondiale, organisée par Staline et les Soviétiques, peu avant la déportation des Juifs commandée par Hitler.
Lina est une jeune Lituanienne comme tant d'autres. Très douée pour le dessin, elle est sur le point d’intégrer une école d'art très réputée. Mais une nuit de juin 1941, des gardes soviétiques l'arrachent à son foyer. Elle est déportée, en Sibérie, avec sa mère, Elena, et son petit frère, Jonas, au terme d'un terrible voyage de plus de 10 semaines. Dans ce désert gelé, il faut lutter pour survivre dans les conditions les plus cruelles qui soient. Mais Lina tient bon, portée par l'amour des siens et son audace d'adolescente. Dans le camp, Andrius, dix-sept ans, affiche la même combativité qu'elle…
Alors que vous dire ? Que c’est une lecture difficile, émotionnellement parlant, tant la réalité décrite est insoutenable : l’incompréhension face à l’arrestation, l’interminable trajet en wagons à bestiaux vers la Sibérie, la perte des êtres chers, la violence physique et morale, la séparation, la famine, la mort, le froid, la crasse, la maladie, l’humiliation, la puanteur, les vexations, la tristesse, le désespoir, la peur,… et l’impuissance. Difficile de rester de marbre face à toute cette détresse.
On entre dans cette histoire dès la toute première ligne, et ce n’est pas une façon de parler « Ils m’ont arrêtée en chemise de nuit ». Je vous avouerai d’ailleurs qu’il ne m’a pas fallu 30 pages pour être submergée par l’émotion, retenant péniblement mes larmes, alors que les mots employés n’étaient on ne peut plus simples (et c’est ce qui fait leur force, selon moi) :
« On séparait les familles. Les enfants poussaient des cris déchirants. Les mères imploraient »
« Les quais étaient remplis d’ours en peluche orphelins »
Comme vous le voyez, aucun pathos, aucun trait forcé, pas de descriptions larmoyantes, juste la réalité, crue. Un style tout en retenue et en dignité, mais qui laisse deviner l’horreur et arrive à conter l’indicible, en mettant toujours en avant le courage et la force de caractère, plutôt que la résignation ou les lamentations.
Ruta Sepetys a également le mérite de rendre l’Histoire accessible à tous. Bien loin des romans phares de cette époque, que sont notamment « Si c’est un Homme », de Primo Levi, ou « La nuit », d’Elie Wiesel, qui sont, eux, bien plus réflexifs et, par certains côtés, hermétiques.
En outre, les personnages sont très attachants (même les plus sombres), à commencer par Lina et sa famille : sa mère, Elena, une femme incroyablement forte, aussi « krasivaya » que sa fille, et toutes deux impressionnantes de volonté, solides et vulnérables à la fois ; puis le petit Jonas, un personnage qui m’a beaucoup touchée. Il y a également le Chauve, l’institutrice, Andrius et sa mère, tellement héroïque, à sa façon, Kretzky, Ulyushka (qui m'a particulièrement émue), Mme Rimas, etc. La force de ces personnages, c’est qu’ils ne sont jamais blancs ou noirs : ils ont leur part d’ombre ou leur part de bonté, c’est selon.
Le seul bémol, en ce qui me concerne, c’est la fin. J’aurais tellement voulu en savoir plus… beaucoup plus… Je ne veux pas déflorer votre lecture donc je ne peux vous dire explicitement ce qui m’a manqué mais juste que la fin est bien trop abrupte et manque cruellement d’informations, même si Ruta Sepetys nous offre un épilogue et des notes, qui apportent un éclairage historique très intéressant au roman.
D’un bout à l’autre de ce roman, derrière la combativité et l'espoir, résonnent des gémissements plaintifs, des cris de douleur, des soupirs accablés, des sanglots convulsifs, des larmes ravalées, des silences lourds de sens, … et ils ne s’estompent pas une fois la dernière page tournée...
Ma note :